Chapitre 9 (partie 2) : Cri fané

 

 

 

 

Lu Cang essaya d'ouvrir les yeux, mais son front était recouvert d'une épaisse couche de sang, dégoulinant de ses paupières et l'empêchant de le faire.

 

"Non... non, je n'ai pas...", il pouvait à peine s'entendre, l'inquiétude inondant son esprit et le rendant incapable de penser.

 

Le visage de Jing était comme une plaque de glace.

 

Voyant Lu Cang incapable de résister à une autre série de violences, le chef des gardes s'avança : "Votre Majesté, s'il vous plaît, calmez-vous. Il mourra si vous continuez, et il n'y aura plus "d'offrandes vivantes" lorsque le prince Yongyi sera enterré."

 

Lu Cang avait repris un peu conscience et avait entendu les paroles du garde - Ciel, Xuan Yuan Yongyi était vraiment mort - à cause d'une pilule tonique inoffensive qu'il lui avait donné ?

 

En entendant les mots du garde, Jing ne put s'empêcher de donner un coup de pied vicieux à la partie vulnérable du bas du corps de Lu Cang, puis se retourna rapidement pour revenir à son cheval. "Mettez-le en prison, amenez-le en sacrifice au ciel quand oncle sera enterré."

 

Lu Cang était recroquevillé sur le sol dans une douleur intense, et même le garde ne pouvait pas comprendre comment une telle malchance avait pu arrivée au jeune homme. Incapable de les retenir plus longtemps, des caillots de sang jaillirent des poumons de Lu Cang, coulant en copieuses gouttes coagulées de sa bouche et finalement cédant, il s'évanouit sous le soleil ardent.

 

Les heures passèrent.

 

Lu Cang leva la tête avec beaucoup de difficulté et découvrit qu'il se trouvait dans une humble cellule. La seule lumière sur le mur était faible et de la taille d'un haricot, et il craignait qu'il ne fasse nuit.

 

Lu Cang se mordit la lèvre, essayant de se dégriser - son corps brûlait comme un feu mais était depuis longtemps engourdi par la douleur.

 

Rassemblant ses forces, il se tourna pour évaluer les dégâts - trois profondes marques de doigts dans la chair de son épaule étaient entourées de sang, dans l'ensemble une image horrible.

 

Il essaya doucement de bouger ses jambes, mais une terrible douleur entre elles le fit crier et haleter de douleur. Il ne pouvait que s'allonger là, les jambes légèrement écartées, se débattant comme une sorte de bête mourante allongée sur un tas d'herbe pourrie.

 

Le plafond était en mauvais état, décomposé en vilaines traînées de jaune et de noir, l'air étouffant faisait que Lu Cang avait du mal à respirer et avait l'impression qu'il était sur le point de suffoquer.

 

Il avait l'impression de s'être réveillé dans un horrible cauchemar ou d'être tombé dans un enfer terrible et inéluctable. Mais il le savait - il était innocent.

 

Lu Cang s'étouffa - il ne pouvait même pas pleurer correctement, et cette idée le fit rire amèrement de lui-même. Il pensa aux moments où il était libre d'errer dans les montagnes et à la façon dont il avait atterri dans la capitale et dans le lit de l'homme le plus puissant sous le soleil - le seul tort qu'il avait jamais fait avait été de tomber amoureux d'une belle femme une nuit et pourtant il était là, dans une cellule sombre et humide, un tas d'accusations criminelles indésirables pesant sur lui.

 

Ses mains et ses pieds étaient liés par des chaînes, la seule liberté qu'il avait été dans son cœur - il ne voulait pas se plaindre, il était même un peu reconnaissant pour la cruauté de Jing, remplir les derniers jours de son existence d'une violence et d'une folie inimaginable et l'arracher à tous ces beaux délires.

 

Une fois de plus, il se rappela que ses sentiments n'étaient qu'à sens unique. Personne ne traiterait jamais une personne qu'il avait même un peu peur d'aimer comme ça - pour la privée de la moindre parcelle de dignité et jeter son corps ensanglanté de côté comme une sorte de comédie malsaine.

 

Cette pensée avait persisté dans son esprit pendant un certain temps, mais elle ne lui avait jamais causé autant de chagrin auparavant. Lu Cang commença à frissonner et même lorsque quelqu'un ouvrit la porte et entra dans sa cellule de prison, il ne put avoir q'un désespoir froid et aiguë dans son cœur.

 

Jing entra dans la petite cellule et s'assit sur le seul meuble de la pièce - un petit lit en pierre. Il regarda le corps ensanglanté de Lu Cang sur le sol avec un regard insondable.

 

"Je vais te demander une fois de plus, pourquoi-as-tu-tué-oncle Yongyi ?" Il accentua tellement chaque syllabe qu'il avait l'impression qu'un gel millénaire avait recouvert les murs de la pièce.

 

Lu Cang l'entendit clairement. Il cligna des yeux, puis déglutit - il était inutile de dire la vérité, même s'il le voulait.

 

Il n'avait plus rien à dire à Jing.

 

"Hm, même si tu ne le dis pas, je le sais déjà. Sale garce, tu es juste jaloux que je fasse attention à Yongyi et que je te jette de côté."

 

Sans regarder Jing, Lu Cang connaissait déjà l'expression froide qu'il avait en faisant ces remarques.

 

Un vilain sourire rampa sur le visage de Lu Cang. S'il avait l'énergie de faire un dernier souhait, ce serait d'affronter Jing sans une once de peur sur son visage.

 

Cela mit apparemment Jing en colère jusqu'à ce qu'il veuille exploser, mais Lu Cang avait l'air de pouvoir s'effondré au moindre contact, alors Jing maîtrisa sa colère avec force.

 

"J'ai toujours aimé faire les choses clairement. Je sais que tu te sens lésé maintenant parce que tu ne sais pas comment tes actions ont été révélées. Très bien, au motif que nous étions autrefois considérés comme des amis proches (1), je te ferai tout savoir clairement."

 

"Venez, appelez-le."

 

Puisqu'il allait mourir de toute façon, Lu Cang voulait aussi savoir comment une simple pilule tonique avait pu tuer le Prince Yongyi.

 

Bientôt, un homme entra dans la cellule de la prison, et bien que sa vision était floue, cette personne semblait vaguement familière à Lu Cang.

 

Comme s'il s'agissait d'une sorte de cérémonie, il se déplaça silencieusement pour s'agenouiller dans le coin.

 

"Toi, fais-lui face et dis-lui ce que tu as vu ce jour-là." Le ton de Jing était calme et Lu Cang voulut ricaner--comment cet idiot pouvait-il être témoin de quelque chose qui ne s'était absolument pas produit ?

 

"J'obéis à sa Majesté." L'homme jeta un coup d'œil à Lu Cang, "Tôt ce matin, le Garde Impérial Lu est venu au temple de Lin Qing pour chercher sa Majesté, mais sa Majesté était déjà partie, mais le Prince Yongyi m'a ordonné de laisser le Garde Impérial Lu entrer pour le voir, mais ne m'a pas permis d'entrer. Je ne pouvais pas entendre clairement de quoi ils parlaient."

 

Lu Cang se rappela soudainement - cet homme était l'eunuque qui l'avait amené voir Xuan Yuan Yongyi - il n'aurait jamais pensé qu'il s'avancerait pour l'impliqué dans la mort de Xuan Yuan Yongyi.

 

"Après un certain temps, le Garde Impérial Lu est retourné au temple, cette fois il était délibérément discret, comme s'il cachait quelque chose. Le Prince Yongyi a dit quelque chose à propos de donner au Garde Impérial Lu une sorte d'antidote et le Garde Impérial Lu a parlé au Prince Yongyi d'une sorte de médicament, et que quelque chose se passerait après une heure." À ce moment, l'eunuque regarda le visage de Lu Cang. Le voyant sans expression, l'eunuque continua.

 

"Juste un instant après le départ du Garde Impérial Lu, juste un instant plus tard, le Prince Yongyi... il... il ...", l'eunuque tremblait tellement que sa voix se cassa, ce qui rendit difficile pour lui de continuer.

 

Jing fit un signe de la main pour que l'eunuque arrête de parler. L'eunuque poussa un soupir de soulagement, puis alla se placer à côté.

 

Jing déplaça son regard vers Lu Cang et ricana : "Tu penses que personne ne saurait ce que tu as fait ? La justice a de longs bras. La drogue a pris effet une demi-heure plus tôt et tu n'as pas eu le temps de t'échapper de la capitale. Je t'ai attrapé. Si tu veux blâmer quelque chose, blâmes ta malchance. Même le ciel ne peut pas t'aider."

 

Ne voulant pas s'expliquer tout en sachant que s'expliquer ne lui servirait à rien, la nature de Lu Cang lui interdisait tout de même de se taire, "Puisque j'ai déjà commis un grand crime, je ne souffrirai plus de mes propres paroles." Il força ces mots à sortir de sa bouche et vit le visage de Jing se tordre provoquant un froncement de sourcil clair et sévère.

 

"Partez, vous tous." Tous les gardes accusèrent réception de l'ordre et partirent.

 

La voix de Jing était froide, mais Lu Cang n'avait pas peur, qu'y avait-il à craindre ? Il ne restait plus qu'une vie pourrie. Il ouvrit les yeux et vit Jing s'approcher de lui - sa vision ne s'était toujours pas éclaircie.

 

"Oh ? Tu as essayé de t'échapper, tu n'as plus peur de moi ?" Jing s'accroupit à côté de lui et lança un regard amusé à Lu Cang.

 

Si le temps était autre chose que le présent, Lu Cang aurait été effrayé au point de trembler, mais maintenant, face à la mort, une soudaine vague de courage l'envahit - Lu Cang croisa son regard sans la moindre trace de peur dans ses yeux.

 

"Sais-tu ?" Jing sourit de son noble sourire et se procura un mouchoir en soie à l'intérieur de ses robes et essuya le sang sur Lu Cang, "Sais-tu ce qu'est le Lingchi (2) ? Demain, ils commenceront à partir d'ici..." Il passa le coussinet de son pouce sur la peau translucide des paupières de Lu Cang, "alors ici...." Jing tordit vicieusement cet endroit qui faisait mal jusqu'à ce qu'il s'engourdisse, faisant crier Lu Cang de douleur.

 

"Ils te découperont, morceau par morceau sanglant, et te laisseront comme un tas de chair et d'os sanglants, mais tu ne mourras pas. Tu regarderas alors que tu te dissolves en une boule de viande et d'entrailles..." Jing parla lentement tandis que ses paumes appuyaient malicieusement sur chaque partie du corps de Lu Cang alors qu'il décrivait la mort lente.

 

Les mains de Jing étaient froides comme de la glace et chaque endroit qu'il touchait était comme s'il était gelé et Lu Cang ne pouvait pas croire que ces mêmes mains l'avaient touché avec chaleur et passion auparavant. Les mots de Jing étaient comme de l'acide, mais Lu Cang était imperturbable - mourir était mieux que de continuer à vivre avec la saleté que Jing avait enduite sur tout son corps, disparaître dans les airs était la meilleure chose qu'il pouvait souhaiter.

 

Ne voyant aucun signe de peur sur le visage de Lu Cang, Jing fut un peu déçu. La douleur de perdre le Yongyi qu'il tenait depuis longtemps dans son cœur l'avait rendu fou, il n'y avait aucune autre pensée que celle de tuer de la manière la plus douloureuse la personne qui avait empoisonné son oncle.

 

Lu Cang n'était pas affecté, il semblait qu'il devait également changer de tactique.

 

Jing étendit les bras et utilisa un peu de force, prenant Lu Cang dans un port nuptial tout en se levant de sa position accroupie.

 

"Qu'est-ce que vous faites..." En voyant glissé le masque calme du visage de Lu Cang, Jing sentit qu'il avait choisi la bonne approche.

 

"Ne m'aimes-tu pas tellement ? Tu m'aimes tellement que si tu ne peux pas m'avoir, tu tueras quiconque attire mon attention ?" Jing insulta froidement Lu Cang et tira un grand plaisir de la sensation du corps légèrement tremblant dans ses bras.

 

"Non ! Vous ne pouvez pas faire ça !" Alors que Jing allongeait Lu Cang sur le lit de pierre froide, il réalisa finalement quel genre de torture Jing lui prévoyait - cela déchirerait son cœur plus qu'une mort lente, blesserait son corps plus que tout autre type de torture et réveillerait tous ces humiliants souvenirs. Il savait que son corps était trop faible pour résister à tout cela, il se briserait si Jing devait...

 

"Ne...", cria-t-il d'une voix stridente.

 

💙💜🖤💛💚🧡🤎🤍

 

Notes de la traductrice : 📑

 

(1) Amis proches - Jing utilise "情谊 = Qíngyì = amitié." (情 = Qíng = affection) et (谊 = Yì = amitié). Un terme plus précis pour l'amitié est "友谊 = Yǒuyì."

 

(2) Lingchi (凌迟 = Língchí) - le lingchi (Chinois traditionnel : 凌遲) était un supplice en usage en Chine, infligé dans le cadre d'une condamnation à mort 💀 pour certains crimes exceptionnels (rébellion contre l'empereur, parricide, etc...), mais aussi pour d'autres délits tels que la propagation d'une religion ressentie comme perverse. Également connu sous l'appellation de supplice des "huit couteaux" ou "cent morceaux", traduit aussi parfois par "mort languissante" ou "mort des mille coupures", le lingchi consiste à entailler et retirer successivement, par tranches fines, des muscles et des organes du condamné avant de lui trancher la tête. L'utilisation d'opium permettait aux bourreaux de maintenir conscient le supplicié le plus longtemps possible. Ci-dessous une peinture représentant un lingchi (pour ceux que ça intéresse vous trouverez des photos sur le net).

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